La prohibition
Au cours de cette période, les états-Unis connaissent la prohibition (1919-1933). Pendant plus d'une décennie, la consommation d'alcool est interdite par la loi (XVIIIème amendement) pour éviter l'ivresse due à la consommation de rhum. Ce combat contre l'ivrognerie n'a cessé de s'intensifier dans les milieux "bien pensants" nationalistes américains. Selon l'Ami Saloon League dite "progressiste", l'ivrognerie est le mal des sociétés européennes décadentes, importé aux états-Unis par les immigrants catholiques (Italiens, Irlandais, etc.), et il s'agit de restaurer une Amérique saine et démocratique. Tandis que la loi est adoptée par l'ensemble des états de l'Union, s'organisent les distilleries clandestines, la contrebande et les débits clandestins (speakeasies) qui rapportent d'immenses fortunes à leur propriétaire. Les gangsters s'y intéressent et leurs mitraillettes font la loi entre bandes rivales, face à des autorités municipales ou fédérales faibles et souvent compromises : c'est l'âge d'or d'Al Capone et du syndicat du crime.
Les alcools frelatés sont vendus très cher, mais les Américains les achètent. Ils sont rarement consommés tels, mais agrémentés de jus de fruits ou d'autres ingrédients afin de cacher l'alcool tant pour son goût que vis-à-vis des autorités en cas de contrôle. Dans les speakeasies, où l'alcool est consommé en cachette, l'imagination des barmen vient à l'aide du contrevenant en élaborant des recettes où l'alcool ne se perçoit plus: c'est le cas du Pussyfoot et de recettes similaires.
Les agences de voyages américaines se spécialisent dans les week-ends "mouillés" (wet) à Cuba, où l'on peut boire en toute impunité. La Havane devient pendant quelques années la capitale des cocktails (Daiquiri, Cuban, Cuba libre, etc.). Ce mouvement donnera naissance à une école cubaine du cocktail, qui survit encore aujourd'hui après quarante ans de castrisme. La leçon sera mise à profit par les barmen du monde entier, qui puiseront dans le registre exotique pour élargir leur palette de recettes.
Devant une telle désinvolture à l'égard de la loi, les autorités de l'Union décident d'abolir le 18 ème amendement en 1933.
Professionnels et amateurs
Tout en découvrant en permanence de nouveaux ingrédients tels que la vodka, la tequila, les fruits exotiques, les liqueurs sophistiquées, le monde des barmen va se professionnaliser à partir des années 1940. Apparaissent des organisations professionnelles (International Bartender Association), des règles de confection des cocktails et des concours de plus en plus sérieux et appliqués. L'imagination comme le savoir-faire sont sollicités, avec le concours des grandes marques de spiritueux, qui peuvent y trouver de nouveaux arguments pour valoriser leurs produits.
Actuellement, trois pôles dominent cet univers professionnel : les Anglo-Saxons, de par leur prééminence historique ; les Italiens, à qui le vermouth et de nombreuses liqueurs originales ont donné une maîtrise des arômes complexes ; les Français, qui, champions de l'accueil et de l'art de vivre, ont su hisser l'art du cocktail au niveau de leur réputation de meilleurs cuisiniers du monde.
Parallèlement, l'usage du cocktail se démocratise et, avec la société de consommation, les mélanges savants ne sont plus uniquement réservés aux happy few. Sans prétendre rivaliser avec les professionnels, de nombreux amateurs commencent à se risquer dans l'élaboration de recettes classiques, voire à improviser des compositions personnelles. De nos jours, la quasi-totalité des ingrédients sont disponibles facilement et presque partout. Quoi de plus convivial que de commencer une réunion familiale ou un dîner entre amis par quelques cocktails ! L'ambiance est tout de suite créée et permet de rompre la glace de manière attractive. Ce qui n'empêchera pas les amateurs de fréquenter les bars et établissements où officient les professionnels du cocktail. Ils y découvriront de nouvelles compositions très originales et apprécieront l'ambiance inimitable de ces lieux où la personnalité du barman et sa convivialité comptent autant que son talent.